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LE DÉBARQUEMENT DE
PROVENCE
LE POINT DE VUE
ALLEMAND
Après le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord en novembre 1942,
la situation stratégique des puissances de l'Axe se modifia fondamentalement en
Méditerranée et en France car la possibilité d'un débarquement allié dans le sud
de la France se transformait en réalité, à la suite de la perte de terrain en
Afrique du Nord qui se poursuivit jusqu'en mai 1943, les armées allemandes étant
alors menacées d'un double encerclement par des débarquements à partir de
l'Angleterre et de l'Afrique du Nord. La situation s'aggrava encore avec le
débarquement des Alliés en Sicile et sur le continent italien en 1943 et avec le
retrait des Italiens de la coalition.
Cependant, le haut commandement de la Wehrmacht, qui avait la responsabilité du
théâtre de guerre en Afrique du Nord, en Italie et en France, alors que le haut
commandement de l'armée de terre avait celle des opérations à l'Est, ne
considérait pas comme très grand le danger d'un débarquement allié dans le sud
de la France, de 1942 au début 1944, car il pensait non seulement que des succès
plus intéressants attendaient les Alliés avec des opérations de plus grande
envergure dans les Balkans, mais aussi parce qu'il considérait qu'il était
impossible pour les Alliés d'effectuer des opérations de débarquement
simultanées sur les côtes ouest et sud de la France. Il partait du principe
qu'une opération ennemie dans l'ouest de la France était beaucoup plus probable
pour diverses raisons, à la fois politiques, économiques et militaires.

Le haut commandement de la Wehrmacht considéra jusqu'en 1944 que le sud de la
France ne présentait pas un danger grave dans l'immédiat : le général
d'artillerie Friedrich von Boetticher, appartenant au haut commandement de la
Wehrmacht, présumait dans une analyse de la situation que les Alliés donneraient
la préférence à un débarquement plus important dans le golfe de Venise avec pour
objectif opérationnel d'occuper Klagenfurt en Autriche et, à partir de là,
d'effectuer une percée dans le sud de l'Allemagne1Cette opinion était par
ailleurs la même que celle de Churchill qui avait, comme on le sait, essayé en
vain auprès de Roosevelt d'obtenir la direction des opérations alliées après
l'occupation de l'Afrique du Nord, pour effectuer des opérations dans les
Balkans afin d'atteindre à tout prix cette région avant les Russes.
La situation de la 19e Armée, stationnée à la mi-août 1944 dans le sud de la
France, fut tout d'abord le résultat de l'occupation de la partie inoccupée de
la France par les troupes allemandes à partir du 11 novembre 1942, en
représailles à l'attitude du gouvernement du maréchal Pétain, jugée confuse par
les Allemands après le débarquement allié en Afrique du Nord, au cours duquel
l'amiral Darlan, considéré comme le dauphin du Maréchal, conclut un armistice
avec les Alliés2La côte méditerranéenne des Pyrénées jusqu'à la frontière
franco-italienne fut occupée par des éléments de la 1re Armée allemande
stationnée sur la côte atlantique dans le sud-ouest de la France et par le
groupe d’armées Felber constitué pour l'occasion dans la partie
Pyrénées-Marseille ; et, de Toulon à Menton, par des unités de la 4e Armée
italienne. Les divisions blindées utilisées pour l'occupation du sud de la
France, en l'absence de tout danger grave d'un débarquement allié, furent à
nouveau retirées et remplacées, de telle sorte que ce front fut, avec le temps,
le " point d'échange le plus important pour les divisions allemandes qui
devaient être soit mises sur pied, soit remises en condition3". A partir de
1943, ces unités eurent également pour mission de protéger la côte et d'y ériger
une défense sans véritables moyens mécaniques car, dans le cadre de
l'édification du mur de l'Atlantique, les constructions sur la côte ouest de la
France avaient priorité absolue et l'exécution des quelques travaux effectués
dans le sud de la France souffrit du manque de matériaux, de capacités de
transport et de carburant. Mais ce qui devait étonner le plus en 1943-1944,
après le débarquement des Alliés en Italie, fut l'absence totale d'une
planification opérationnelle par le haut commandement de la Wehrmacht en cas
d'attaque échelonnée des Alliés sur les côtes ouest et sud de la France. Certes,
le chef d'état-major adjoint du commandement de la Wehrmacht, le général
d'artillerie Warlimont, effectua un voyage en juin 1944 dans les zones d'action
des 1re et 19e Armées. Mais son voyage d'inspection n'eut pas d'autre résultat
que des propositions d'amélioration du déploiement des forces, à moins qu'il
n'ait eu l'impression - ce qui ne ressort pourtant pas des documents - qu'une
défense efficace de la côte sud de la France contre une opération amphibie
alliée ne serait guère possible.

Lorsque, le 13 mai 1943, le reliquat du groupe d’armées germano-italien Afrique,
soit environ 250 000 hommes, fut fait prisonnier et lorsque, le 10 juillet 1943,
les Alliés commencèrent l'invasion de la Sicile, la situation des troupes
allemandes, insuffisamment organisées dans le sud de la France, devint
insoutenable car, en définitive, la défense du sud de la France contre
l'éventualité d'un débarquement allié, laquelle se précisait peu à peu, ne
pouvait pas être effectuée par les divisions allemandes en perpétuelle mutation
avec les moyens d'une " entreprise ambulante4". En août 1943, l'état-major du
groupe d'armées Felber fut renforcé en personnel et en matériel. Le groupe
d’armées, à la tête duquel fut nommé en août 1943 le général d'infanterie von
Sodenstern qui fit ses preuves en Russie et dont le chef d'état-major général
était le général de brigade Botsch, se composait alors tout d'abord de cinq
divisions à commander directement, dont deux étaient immobiles. Ces divisions
immobiles avaient été mises sur pied au début de 1943 pour créer un élément
permanent dans la " gare de triage " qu'était devenu le sud de la France et qui
devait permettre non seulement d'accélérer constamment la construction de
fortifications, mais aussi de créer des troupes familiarisées avec les
conditions locales. Ces divisions, créées de toute urgence, ne disposaient que
de 33% de l'équipement normal d'une division d'infanterie en artillerie,
chevaux, charrettes et véhicules, de deux à quatre régiments et d'un très fort
pourcentage d'Allemands ethniques (jusqu'à 50%) dont une partie ne parlait guère
l'allemand et dont la valeur combative pouvait être mise en doute. Ces divisions
immobiles avaient comme autre point faible les troupes de l'Est qui leur
appartenaient au niveau budgétaire, lesquelles se composaient de Russes blancs,
d'Arméniens, de Caucasiens et d'Azerbaïdjanais et étaient en règle générale
formées en bataillons, occasionnellement aussi en régiments5Ces grandes unités
étaient aussi peu conçues pour une conduite mobile des combats que pour la
direction de contre-offensives. Au début du mois de septembre 1943, le groupe
d’armées se composait d'un état-major à Avignon, de l'état-major de corps
d'armée IV de l'armée de l'air à Montpellier, des divisions immobiles 326 à
Narbonne, 328 à Arles, 356 à Aix, 338 à Marseille (deux régiments de sécurité
seulement), de la 60e Division d'infanterie (mécanisée) se trouvant en phase de
réorganisation dans la région de Nîmes et de la 715e Division d'infanterie en
phase de transfert et qui fut mécanisée sur ordre. A cela s'ajoutaient encore
quelques troupes comme des unités de transmissions, du génie et
d'approvisionnement. Les hommes étaient de toutes catégories d'âge ; les corps
des officiers, allant jusqu'à des généraux, se composaient principalement
d'hommes ayant eu une carence professionnelle ou politique. Les groupes
d'artillerie côtière de l'armée de terre et de la marine avaient la
responsabilité de la défense des côtes, leur équipement se composait de matériel
en provenance de tous les pays européens avec peu de munitions, le tout
représentant plutôt un " musée d'armes d'occasion " n'ayant guère d'efficacité
réelle. L'artillerie côtière était concentrée simplement dans la région de Sète,
de Marseille et de Toulon ; sa portée était de 20 kilomètres au maximum. Le
réseau de télécommunications dépendait essentiellement des postes françaises et
était soumis à de nombreuses pannes et interruptions. La partie de front que
devait défendre la 19e Armée était de 500 kilomètres environ après le retrait
des Italiens en septembre 1943 et comprenait également les îles et les baies.
Ces indications font déjà clairement apparaître la difficulté d'une défense, ou
ne serait-ce qu'un contrôle de la côte avec ces moyens réduits. Cependant,
jusqu'en septembre 1943, le haut commandement de la Wehrmacht, mais aussi le
commandement en chef ouest dont relevaient toutes les forces déployées dans le
sud de la France, et le général Felber pensaient qu'il n'y avait aucun danger
immédiat dans le sud de la France et que l'on pouvait pour ainsi dire " le
laisser tel quel ". Cette attitude semblait d'ailleurs justifiée par le fait que
la population française " restait cordiale et compréhensive tout en se montrant
dignement réservée " et le maquis ne faisait pas encore trop parler de lui, de
telle sorte que le militaire allemand n'avait guère l'impression d'opérer dans
un pays ennemi.
Lorsque le général von Sodenstern prit le commandement en août 1943, cette
situation se modifia lentement, en raison à la fois des possibilités de plus en
plus probables de débarquement et des activités de plus en plus accrues de la
résistance française ; mais la région Sud de la France restait à l'abri de toute
surprise désagréable sur le plan des effectifs, grâce aux divisions qui devaient
être déplacées de France vers le front italien, et le commandant en chef du
groupe d’armées avait par conséquent comme unique et principale exigence de
couvrir sa zone d'action au moins par des états-majors de corps d'armée pour
diriger les divisions. Cela s'avéra cependant quasiment impossible en raison des
forts besoins en états-majors de commandement à l'Est et en Italie et, dans ce
cas également, il fallut avoir recours à des moyens de secours. Certes, on
réussit à transformer l'état-major de groupe d’armées en état-major d'armée en
décembre 1943, lequel reçut le numéro d'ordre 19, mais les états-majors de corps
d'armée restèrent des institutions provisoires. Par voie de commandement,
l'état-major de commandement Groupe Knies fut formé sous sa propre
responsabilité et malgré des problèmes de personnel, avec à sa tête le général
d'infanterie du même nom ; et, au printemps 1944, il fut transformé en
état-major de corps d'armée LXXXV. Puis, ramené de l'arrière, l'état-major de
corps d'armée de réserve LXII fut mis en action sous la direction du général
d'infanterie Neuling. Les zones de combats potentiels de Sète, du Rhône et de
Saint-Raphaël étaient ainsi couvertes. Au cours de l'hiver 1943-1944, le nombre
des divisions engagées sur la côte était de six et atteignit même sept au
printemps 1944. Et, dans la zone, deux à trois divisions blindées étaient en
permanence déployées sous la direction d'un état-major de corps d'armée. Le 10
mai 1944 fut créé le groupe d'armées G, sous la direction du général Blarkowitz,
dont le siège était à Rouffiac, près de Toulouse, en vue de coordonner l'action
des 1re et 19e Armées. La 19e Armée atteignit son potentiel maximum en juin 1944
au moment de l'invasion de la Normandie. Commença alors un processus d'érosion,
les unités devant être envoyées les unes après les autres sur le front
d'invasion dans le nord-ouest de la France. Parmi les unités les plus puissantes
furent envoyées les divisions actives suivantes :
- 277e Division d'infanterie,
- 272e Division d'infanterie,
- 271e Division d'infanterie,
- 341e Brigade de canons d'assaut,
- quatre Groupes d'artillerie,
- quatre Bataillons de marche,
- et le 989e Groupe d'artillerie lourde.
Comme unités de réserve opérationnelles :
- l'état-major du corps blindé LVII,
- la 2e Division blindée SS Das Reich,
- la 9e Division blindée.
En remplacement, l'armée se vit attribuer :
- la 198e Division d'infanterie,
- des éléments de la 716e Division d'infanterie,
- des éléments de la 189e Division d'infanterie de réserve,
- un groupe d'artillerie antichars.
Sur la base des analyses de la situation faites par l'état-major d'armée 19,
lesquelles faisaient ressortir le caractère intenable de la situation au vu de
ces ponctions, le commandement du groupe d’armées G fit savoir au commandant en
chef ouest, le feldmarechal von Rundstedt : " le groupe d’armées ne voit pas le
moins du monde la nécessité de réduire la 19e Armée de la manière décrite eu
égard à la situation du groupe d'armées B (c'est-à-dire Normandie/Bretagne). Il
se sent par ailleurs obligé de faire savoir que la puissance défensive de
l'armée a été affaiblie à tel point qu'une défense de la côte ne peut déjà plus
guère être garantie ". Les effectifs de la 19e Armée diminuèrent jusqu'au 14
août 1944 : la 338e Division d'infanterie fut envoyée également sur le front
normand ainsi que des éléments des groupes antichars des divisions immobiles
restantes. Lorsque, le 15 août 1944, les Alliés débarquèrent sur la côte
provençale, la 19e Armée était un " troupeau en perdition " qui ne pouvait plus
remplir sa mission qui était d'empêcher un débarquement. A ce moment, le chef
d'état-major général de la 19e Armée porta le jugement ci-après sur la situation
des états-majors et des divisions dans sa zone de responsabilité :
- L'état-major de corps d'armée IV de l'armée de l'air était un état-major
particulièrement bien équipé en matériel et en personnel.
- L'état-major de corps d'armée LXXXV était un état-major formé sur ordre avec
toutes les caractéristiques de l'improvisation, en particulier dans le domaine
des transmissions.
- L'état-major de corps d'armée LXII était un état-major improvisé en matériel
et en personnel qui ne pouvait satisfaire aux exigences d'une grande bataille.
- La 716e Division d'infanterie fut complétée en personnel à la mi-août après
les rudes combats qu'elle avait menés en Normandie ; il lui manquait cependant
des armes lourdes ; elle n'était pas opérationnelle.
- La 198e Division d'infanterie avait été totalement remise en condition à
quelques matériels près et était entièrement opérationnelle.
- La 189e Division de réserve était une division d'instruction et n'était pas
conçue pour une grande offensive.
- La 338e Division immobile, en partie évacuée déjà, ne pouvait pas être
considérée comme une grande unité de valeur.
- La 244e Division immobile n'était apte à une grande bataille que sous réserve.
- La 242e Division immobile était une division de défense antiaérienne.
- La 11e Division blindée située à l'ouest du Rhône et diminuée d'un bataillon
de chars et de onze groupes d'artillerie était entièrement opérationnelle6
Au moment du débarquement, la 19e Armée ne disposait par conséquent que d'un
état-major de corps d'armée, d'une division d'infanterie et d'une division
blindée conçues pour une grande offensive. L'armée de l'air, à ce moment-là,
disposait de :
- quelques avions de reconnaissance,
- quelques avions de chasse,
- une brigade anti-aérienne répartie sur toute la largeur du front de la 19e
Armée7
Effectifs de l'armée de l'air allemande
dans le sud de la France au 31 juillet 1944
UNITE
LOCALISATION
Effectifs a) réels
b) opérationnels
c) non opérationnels
II./KG 26 (escadre de combat) Montélimar
a) 13 Ju 88 A 17
b) 6
c) 7
III.KG 26
Nîmes
a) 16 Ju 88 A 17
b) 10
c) 6
EM KG 26
Montpellier
a) 1 Ju 88 A 17
b) 0
1. KG 26
La Jasse
Salon
a) 29 Ju 88 A 17
b) 23
c) 6
1.(F)/33
St Martin
a) 5 Ju 88
2 Me 410
b) 1 Ju 88
1 Me 410
2.(Seeaufkl.) 128 (reconnaissance mar.) Berre
a) 12
b) 8
2. (NAufkl.)13
(reconnaissance rapprochée)
Cuens
a) 12 FW 190
b) 6
c) 6
2./JG 200 (escadre de chasse)
1., 3./ JG 200
Avignon
Aix en Provence
a) 17 Bf 109 G
b) 10
c) 7
Références: AF-AM, RL 2 III/732 et KART 40/181
La marine disposait de :
- faibles flottilles d'avant-postes,
- groupes d'artillerie côtière.
Voilà tout ce que la Wehrmacht pouvait mettre à disposition pour contrecarrer un
débarquement allié en Provence, à quoi il fallait naturellement ajouter les
fortifications côtières sur lesquelles il convient de dire quelques mots. La
fortification de la côte sud de la France fut activée à la fin de 1943
seulement, avec pour conséquence qu'il n'y avait, au début de l'opération de
débarquement alliée, que des commencements de travaux dans tous les domaines. Le
général Rommel lui-même, nommé vers la fin de 1943 par Hitler " chargé de
mission du Führer pour l'aménagement de la défense de toutes les côtes ", ne put
rien changer aux carences générales. En février et mai 1944, il visita la zone
de la 19e Armée et déclara au commandant en chef que l'on devait empêcher en mer
un débarquement des Alliés ou, au plus tard, sur le rivage ; si l'adversaire
arrivait à prendre pied sur la côte, il serait alors impossible de le repousser
en raison de sa supériorité aérienne. La perte d'une seule partie du territoire
français serait politiquement insupportable et serait refusée catégoriquement
par Hitler. Rommel accordait une grande importance à la construction d'obstacles
côtiers, de champs de mines et d'obstacles au parachutage, comme en Normandie,
en Belgique et également en Hollande. Jusqu'en août 1944, des points d'appui
très éloignés les uns des autres parsemèrent la côte sud de la France, disposés
comme un rang de perles, érigés pour une défense en hérisson et occupés en règle
générale par une section d'infanterie. 1 000 ouvrages de fortification devaient
constituer la colonne vertébrale de cette défense, 300 seulement étaient
terminés au début de l'offensive, 80 uniquement étaient en béton armé. Les
efforts étaient insuffisants dans tous les domaines. La fortification atteignait
une certaine profondeur grâce aux positions largement en retrait pour
l'artillerie, grâce aux canons antichars et d'infanterie, et grâce également à
de petites réserves à tenir prêtes. A une distance de 15 à 30 kilomètres de la
côte, l'armée commença à construire une deuxième position qui devait parer les
attaques ennemies dans la vallée de l'Aude et du Rhône. Une importance
particulière fut accordée à la défense des ports de Marseille et de Toulon car
ils étaient les seuls à disposer d'installations de chargement modernes
nécessaires à des troupes de débarquement mécanisées pour protéger le
ravitaillement. Les deux ports furent par conséquent déclarés " zones de défense
" et étaient occupés au début du débarquement par 10 000 à 12 000 hommes. La
plupart des batteries côtières navales étaient employées à la défense de ces
deux ports. L'artillerie de l'armée de terre et la DCA devaient commander
l'action de feux proprement dite avec les forces de débarquement. Un ordre du
Führer faisait loi depuis le 9 août 1944 pour les commandants des forts et des
zones de défense, que je cite encore8: " les places fortes doivent tenir aussi
longtemps qu’il reste un homme et une arme. Une justice pénale stricte doit être
appliquée en cas de soulèvement de la population et les troupes de l’Est doivent
avoir carte blanche pour la répression et le contre-terrorisme ". L’état-major
d’armée 19 sur la base de son analyse du terrain, parvint à la conclusion que
les meilleures possibilités de débarquement étaient dans les régions suivantes
de la partie méditerranéenne de la France :
- Narbonne - Béziers - Montpellier,
- l'embouchure du Rhône,
- la Riviera française.

Cette dernière paraissant cependant la moins probable. Au début du mois de juin
1944, l'armée avait atteint son potentiel maximum : outre les divisions
immobiles, le corps blindé LVIII, à disposition avec trois divisions blindées,
avait reconnu des possibilités de contre-attaque de part et d'autre de
l'embouchure du Rhône et de la Riviera française, dans la mesure où le sud de la
France était concerné. Comme on le sait, l'état-major du corps blindé fut
transféré au nord-ouest avec deux divisions blindées au cours de la bataille de
Normandie (26 juillet 1944) de telle sorte que la 19e Armée pouvait s'estimer
heureuse d'avoir au moins la 11e Division blindée, regroupée en fait dans la
région de Toulouse et qui devait, en cas de débarquement, traverser seulement le
Rhône vers l'est en aval de Toulon.
Le potentiel de la 19e Armée dépendait essentiellement, on s'en souvient, des
besoins du front d'invasion de Normandie et non pas de l'évolution de la
situation de l'ennemi sur la côte sud de la France. Naturellement, l'état-major
d'armée étudiait avec soin la situation de l'ennemi et essayait de constituer
avec ses faibles moyens les points forts de sa défense aux endroits paraissant
en danger. Le 10 juillet 1944, le groupe d’armées G signala au commandant en
chef ouest, dans son rapport hebdomadaire sur la situation, que la position de
l'ennemi en Méditerranée indiquait une fin prochaine des préparatifs de
débarquement sur la côte sud de la France ou dans le golfe de Gênes, faisant
référence au renforcement des effectifs en Italie, à l'arrivée de bateaux de
débarquement supplémentaires depuis le début de juillet et à la mise à
disposition de capacités supplémentaires de transport de bateaux. Ces présages
se confirmèrent au courant du mois de juillet par une concentration de plus en
plus importante des forces navales alliées et une augmentation de
l'approvisionnement par air du mouvement de résistance français qui avait déjà
attaqué, à la mi-juillet, des convois militaires fortement gardés et devenait un
réel danger pour les liaisons arrières. Le 24 juillet, le groupe d'armée G
signala pour la première fois un accroissement des bombardements alliés sur les
gares et les voies de chemin de fer dans la région côtière ainsi que sur les
ponts dans l'arrière-pays, un accroissement des actes de sabotage du maquis sur
les transports par voie ferrée et les dépôts ferroviaires, raison pour laquelle
le groupe d’armées sollicita de plus en plus les commandements tactiques et de
défense pour la protection des lignes de communication logistiques.
Parallèlement, les troupes allemandes connurent des succès contre la résistance
française, comme par exemple à Marseille où 18 responsables des FFI furent
arrêtés, entre autres les chef régionaux, départementaux et locaux, avec 26
autres " terroristes ". Les groupes de résistants français luttaient de plus en
plus intensément contre la puissance d'occupation allemande depuis avril 1944 et
occasionnaient des difficultés considérables pour les autorités militaires
allemandes. Il n'y avait pas seulement les attentats commis contre des
infrastructures et ouvrages d'art importants sur le plan militaire, qui
conduisirent à une détérioration progressive du ravitaillement, mais aussi et
surtout les attaques de patrouilles, de transports de troupes et d'unités en
déplacement qui provoquèrent une nervosité de plus en plus grande à tous les
niveaux, pouvant aller, dans les états-majors et parmi la troupe, jusqu'à des
actions contre la population civile française. Lorsque le général de division
Schmidt-Hartung, commandant le groupe de liaison principal 564 à Toulouse, se
plaignit au commandant en chef du groupe d’armées G, le 16 juin 1944, "
d'agressions contre des ressortissants de la Wehrmacht dans la lutte contre les
terroristes ", le général Blaskowitz saisit l'occasion un jour plus tard pour
prendre position à l'égard de la lutte de la Wehrmacht contre les organisations
de résistance françaises : " J'ai ordonné, dit-il, que la lutte contre les
terroristes soit menée avec toute la rigueur nécessaire, avec cependant toute la
décence des habitudes de combat des soldats allemands ". La lutte contre la
Résistance devait être un combat de francs-tireurs qui ne devait pas être
soutenu par la population française. Certes, des milliers de citoyens allemands
avaient été victimes des attaques aériennes alliées, mais la Wehrmacht était
loin de rendre la pareille. Dans cette lutte contre le maquis, la vie des femmes
et des enfants devait être épargnée au même titre que celle des hommes hors de
cause. Les fermes n'ayant jamais hébergé de résistants français ne devaient
jamais être incendiées, car la propriété était sacrée pour les Français. La
troupe devait être longuement instruite sur les principes ordonnés par
Blaskowitz. Mais la difficulté d'appliquer ces principes dans les combats
quotidiens avec le maquis tenait à la nature de cette " petite guerre " qui se
déroulait en fait selon les lois de chacun9
Jusqu'à la fin de juillet 1944, le groupe d’armées signala un renforcement
progressif des forces navales alliées, notamment par des porte-avions, une
activité aérienne constante et une multiplication croissante des actions de la
Résistance. Lorsque l'armée du général Patton entra dans le sud de la Bretagne,
le 7 août 1944, le danger d'une coupure des lignes de communication arrières du
groupe d’armées se dessina pour la première fois de par l'action du maquis.
Depuis le début du mois d'août, l'état-major 19 signalait des bombardements
systématiques importants " des voies de communication sur le Rhône et le Var en
vue d'une opération de débarquement entre ces deux fleuves " et " des
reconnaissances aériennes ennemies entre Nice et Toulon " ainsi que " des
incursions aériennes accrues pour ravitailler des troupes ", " un accroissement
des actes de sabotage " qui se traduisit, pour la seule journée du 7 août, par
le dynamitage de deux voies ferrées et de deux ponts routiers, de cinq tronçons
de voie ferrée et de deux tronçons câblés. Le 8 août seulement, le groupe
d’armées crut pouvoir identifier la zone à l'est du Rhône comme région de
débarquement ennemi probable d'après les objectifs des bombardements alliés, et
précisa le 12 août le lieu de débarquement ennemi comme devant se situer entre
le Rhône et le Var, raison pour laquelle le niveau d'alerte II fut déclenché ce
même jour par la 19e Armée. Les parachutages étaient attendus dans la région de
La Crau. La 157e Division de réserve située à l'est de Grenoble reçut en même
temps l'ordre d'occuper les fortifications et les passages des Alpes
franco-italiennes pour assurer une protection contre des opérations commando
ennemies, le tout en coopération étroite avec les unités italiennes de l'armée
du maréchal Graziani. A partir du 11 août, les interventions aériennes alliées
ne furent plus seulement dirigées contre le réseau de circulation, les ponts à
proximité de la côte pour couper toute circulation sur le Var et le Rhône mais
désormais aussi contre les ouvrages de défense, les installations radar de la
marine, les aéroports et les positions de la DCA. Dans la journée du 14 août, la
certitude se développa à l'état-major 19 qu'un débarquement allié était imminent
à l'est du Rhône, après que la reconnaissance aérienne allemande eut signalé, le
12 août 1944, la découverte de deux convois de 75 à 100 véhicules terrestres et
bateaux de guerre devant Ajaccio, en Corse, et l'occupation de la baie et du
port de la ville par d'importantes capacités de transport et forces navales. Le
soir du 14 août, à 18 h 05, l'armée de l'air signala le départ de cette flotte
d'Ajaccio en direction du nord-ouest. L'état-major 19 informa immédiatement ses
unités du débarquement attendu pour le 15 août, lequel, selon ses calculs,
pourrait avoir lieu à l'est du Rhône aux premières heures du jour ou à l'ouest
du Rhône dans l'après-midi, cette dernière possibilité restant la plus
improbable. A 21 h 50, la 6e Flottille de sécurité occupa la zone allant de
Giens à Antibes ; une heure plus tard, la flotte de débarquement ennemie fut
repérée pour la première fois au sud de Toulon. Le 15 août, à partir de 00 h 25,
des messages parvinrent continuellement au sujet l'approche de la flotte de
débarquement ; à 02 h 25, les premières tentatives de débarquement eurent lieu
de part et d'autre du Cap Nègre, dont le point d'appui fut au même moment cerné
à partir du continent par les forces de la Résistance. A 03 h 25, des éléments
ennemis débarquèrent sur les îles de Hyères ; à partir de 05 h 00, les premiers
parachutages de bataillons s'effectuèrent à 10 kilomètres au sud-est de
Draguignan et l'état-major 19 ordonna, à 07 h 35, au corps d'armée LXIII de les
empêcher le plus rapidement possible10
À l'origine appelée Anvil (enclume), le nom a été changé en Dragoon par Winston
Churchill car il était contre ce débarquement (dragooned) préférant une percée
des troupes déployées sur le front d'Italie vers les Balkans afin de prendre en
tenaille l'armée allemande en Europe centrale et d'arriver à Berlin avant les
Soviétiques. Il s'oppose notamment à de Gaulle, qui menace de retirer les
divisions françaises du front italien. Les objectifs étaient de libérer Toulon,
Marseille puis de remonter le Rhône jusqu'à effectuer la jonction avec les
forces d'Overlord.
La veille Radio-Londres diffuse le message pour la Résistance : « Le chef est
affamé. »

Lorsque l'ennemi eut rassemblé, entre les îles de Hyères et la baie de
Saint-Raphäel, les capacités de transport nécessaires au débarquement de quatre
divisions environ, avec l'aide de cuirassés d'escadre et de croiseurs, le
débarquement commença véritablement à partir de 8 h 00 des deux côtés du Cap
Nègre, dans la baie de Cavalaire et de part et d'autre de Sainte-Maxime, et se
déroula partout avec succès. Les troupes de l'Est déployées dans la zone de la
242e Division d'infanterie désertèrent. Vers midi, les Alliés avaient construit
une tête de pont près du cap Dramont et d'Antheor ; des combats se déroulaient
encore dans la région de Saint-Raphaël et Théoule ; les parachutages
continuèrent de s'intensifier dans la région de Draguignan. Les éléments de la
148e Division de réserve et de la 242e Division d'infanterie opposés à l'ennemi
furent pris sous les tirs de l'armée de l'air et de l'artillerie navale ; les
troupes recrutées dans la région à l'ouest de Toulon, essentiellement la 11e
Division blindée et la 198e Division, furent arrêtées au Rhône où se trouvaient
encore à midi deux ponts utilisables également pour les chars et deux ponts
légers. Là, un nouveau bombardement important atteignit les ponts du Rhône dans
l'après-midi et les détruisit. Commença alors un franchissement laborieux sur
plusieurs jours avec des bacs qui ne furent étrangement guère détruits par les
avions ennemis. Les Alliés avaient ainsi annihilé les projets opérationnels de
l'état-major 19. Il a pu être constaté par la suite qu'il aurait été
vraisemblablement impossible pour les deux divisions allemandes, qui se seraient
épuisées considérablement dans cette entreprise, de rejeter l'ennemi à la mer.
Lorsque l'ordre de repli fut donné le 18 août, deux divisions, en quelque sorte
opérationnelles, étaient encore à disposition sur la rive orientale du Rhône et
en mesure de continuer à contrecarrer la poursuite à des fins de dépassement des
divisions US, tout au moins pour le gros de la 19e Armée.
Le 16 août, l'ennemi parachuta les effectifs d'une division dans la région de
Draguignan et l'état-major 19 estima les unités débarquées sur la côte à environ
quatre divisions. Mais à l'inverse de ce qui s'était passé en Normandie deux
mois auparavant, les Alliés percèrent immédiatement vers le nord et le
nord-ouest, submergèrent des points d'appui encore combattants et tentèrent,
soutenus par le maquis, de gagner les routes de la vallée du Rhône. Une attaque
visa Toulon et Marseille où les premières destructions commencèrent.
L'état-major de corps d'armée LXII, encerclé par l'ennemi, cessa de commander et
l'état-major de corps d'armée LXXXV reprit en sus sa partie de front. A
l'état-major 19, il fut reconnu alors que rien ne pouvait être entrepris nulle
part contre les importants effectifs mécanisés ennemis et que l'on pouvait
seulement essayer de reconstituer un nouveau front à l'arrière de la ligne de
tête de pont. A 11 h 15, l'état-major du groupe d’armées G reçut du commandement
en chef ouest l'instruction de retirer toutes les troupes se trouvant à l'ouest
de la ligne Orléans - Montpellier derrière une ligne Seine - Yonne - Bourgogne,
autrement dit la totalité de la 1re Armée battait en retraite. Cela fut clair
dès le début pour tous les participants. Le 18 août 1944, à 11 h 00, Hitler
ordonna " eu égard au danger éminent d'un isolement, que la 19e Armée également
s'éloigne de l'ennemi à l'exception des forces restant à Toulon et Marseille. Le
groupe d’armées G doit effectuer la liaison avec l'aile méridionale du groupe
d’armées B et amorcer immédiatement la construction d'un recueil sur la ligne
Sens - Dijon - frontière suisse ". Pour la 19e Armée, cet ordre signifiait
garantir l'écoulement méthodique des unités par un commandement strict de
l'arrière-garde et des combat sur les lignes de résistance établies, assurer le
passage des forces de l'état-major de liaison principal de Toulouse par Narbonne
et Montpellier avec de faibles moyens et utiliser la 11e Division blindée comme
arrière-garde et " organe pompier ". Les 148e et 157e Divisions, se tenant à
l'est et dans la montagne, devaient sur pression de l'ennemi reculer sur les
positions des Alpes franco-italiennes. Elles seraient en tous points sous le
commandement du commandant en chef sud-ouest, le feldmarechal Kesselring. Les
zones de défense de Marseille et de Toulon devaient " tenir jusqu'au dernier
homme ".

Il était essentiel, pour la 19e Armée, de ne pas être isolée et débordée. Une
échéance de débouché précoce fut fixée dans la vallée du Rhône pour toutes les
troupes, ce qui exigeait du corps d'armée de l'armée de l'Air IV, situé loin à
l'ouest, un pénible déplacement avec le risque de ne pas voir ses unités arriver
à temps, parce qu'entre autres faits, les formations du maquis exerçaient une
pression de plus en plus croissante. La 19e Armée voulait atteindre la première
position de repli avant le 22 août sur une ligne Sommière - Arles - Charien des
Alpines - Apt et s'arrêter le 23 août. Les réserves en carburant, munitions,
armes et aliments devaient être emportées en tout état de cause. L'état-major de
corps d'armée 19 mit sur pied un état-major spécial pour la direction de tous
les mouvements de déplacement. L'action de la 11e Division blindée, qui relevait
directement de l'armée contre une poursuite à des fins de dépassement,
s'effectua par secteurs :
- secteur jusqu'à l'Isère,
- secteur jusqu'à Lyon,
- secteur jusqu'au Doubs,
- secteur jusqu'à la trouée de Belfort.
Ses missions principales étaient :
- de former une arrière-garde,
- de barrer les sorties de montagne pour éviter une poursuite à des fins de
dépassement,
- d'effectuer une large reconnaissance blindée11
Le repli de la 19e Armée du sud de la France ne peut faire ici l'objet d'une
description détaillée. Il convient seulement de retenir que ce repli démontra
une nouvelle fois la parfaite maîtrise du commandement militaire allemand en
présence d'un adversaire à la supériorité en matériel écrasante. Le repli de
l'armée jusqu'à la Porte de Bourgogne compte parmi les opérations de repli
classiques de l'histoire militaire contemporaine .
Colonel Manfred KEHRIG
Directeur des archives militaires
de la République fédérale d’Allemagne
_______
Notes:
1 Rapport du 17 juillet 1942 aux Archives fédérales-Archives militaires (BA-MA),
RW 5/495 a+b.
2 Voir à ce sujet le journal de guerre du haut commandement de la Wehrmacht
(état-major de la Wehrmacht), tome II : 1er janvier 1942 - 31 décembre 1942,
classement et explications de Andreas Hillgruber, deux demi-tomes, édition
Bernard & Graefe Verlag für Wehrwesen, Frankfurt/M, 1963.
3 Général de division Botsch, die 19. Armee in Südfrankreich 1943-1944, aux
AF-AM, Study MS N° B-515 ;
4 Sur l'évolution de la situation à partir de l'automne 1943, voir :
5 Joachim Hoffmann, Die Ostlegionen 1941-1943, Freiburg i. Br. 1976,
Einzelschriften zur militärischen Geschichte des Zweiten Weltkrieges, tome 19.
6 Toutes les indications selon notes 4a) et 4b).
7 Voir tableau des effectifs de l'armée de l'air allemande dans le sud de la
France au 31 juillet 1944.
8 Références selon la note 4a).
9 Loc.cit.
10 Toutes références selon notes 4a) et 4b).
11 Toutes références selon le notes 3) général de division Botsch, et 4b);
12 Jörg Steiger, Rückzug durchs Rhônetal, Neckargemünd 1965 .
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